Drogues innovantes, technique de radiothérapie peropératoire en une séance, diagnostic en un jour… Les traitements du cancer du
ne cessent de progresser. Cinq spécialistes expérimentés, cancérologues, chirurgiens, radiothérapeute, nous décrivent ces avancées.
Sabine de La Brosse - Paris Match
Le choc de l’annonce
Pour une femme, la nouvelle d’un cancer du sein est reçue comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. « Pourquoi moi ? Que va-t-il m’arriver ?... » Elle craint aussitôt pour sa vie, sa féminité et, parfois, l’équilibre de son couple. Et, bien souvent, tout bascule. Pourtant, aujourd’hui, cette maladie fréquente, qui touche en moyenne 1 femme sur 9 dans son existence, a, statistiquement dans les cas précoces, beaucoup plus de chances de guérir que le contraire car la médecine n’a cessé de progresser depuis ces vingt dernières années.
«Chaque jour, explique le Dr Marc Spielmann, des cellules cancéreuses naissent dans notre corps mais sont détruites par notre système immunitaire ; cependant, si celui-ci devient déficient et ne peut plus remplir sa fonction, la cellule cancéreuse va se multiplier, jusqu’à former une tumeur (il faut entre six et neuf ans pour qu’elle soit palpable). C’est la déficience de la reconnaissance de “l’ennemi” qui est à l’origine de la prolifération. On recense aujourd’hui en France 55000 nouveaux cas par an, deux fois plus qu’au début des années 80. Pourquoi cette augmentation ? D’une part, les femmes vivent de plus en plus longtemps et, avec l’âge, le système immunitaire devient moins performant. D’autre part, les campagnes de dépistage, avec les grands progrès de l’imagerie depuis les années 2000, permettent de déceler plus de tumeurs de très petite taille.»
Pour confirmer un diagnostic: la macrobiopsie
Si la mammographie et l’échographie révèlent des images douteuses, elles ne permettent pas d’établir une origine maligne ou bénigne. Dans certains cas, une IRM (imagerie par résonance magnétique) est utile pour compléter ces premiers examens. Notamment pour des tumeurs multiples ou des formes avec microcalcifications. «Mais pour obtenir un diagnostic fiable, assure le Dr Céline Bourgier, deux techniques stéréotaxiques mises au point ces dernières années permettent de prélever du tissu mammaire: la microbiopsie et, plus récemment, la macrobiopsie. La patiente est allongée sur un plan de table comportant un orifice où se place le sein. Dessous, un appareil de mammographie couplé à un ordinateur permet de guider l’intervention. Après une anesthésie locale, le radiologue introduit une aiguille creuse munie d’une fraise rotative qui retire plusieurs échantillons d’un nodule afin de les analyser en laboratoire.
Pour la macrobiopsie (essentiellement utilisée dans les microcalcifications), le praticien emploie une sorte de panier à bords coupants qui recueille un volume plus important de tissu. Avec le dernier système Intact, on peut prélever désormais les microcalcifications dans leur totalité ou une tumeur de petite taille (10 à 15 mm). Cette technique constitue une très grande avancée car elle permet dans de nombreux cas d’éviter une exérèse chirurgicale, avec une excellente fiabilité.»
Le diagnostic en un jour: un remède à l’angoisse
«L’Institut Gustave-Roussy, expliquent les Drs Céline Bourgier et Marc Spielmann, a été le premier centre anticancéreux à mettre en place une nouvelle prise en charge permettant aux femmes de réaliser l’ensemble des examens dans le même établissement hospitalier. Les résultats sont communiqués dans la journée aux spécialistes d’une équipe pluridisciplinaire (radiologue, oncologue, chirurgien, anatomopathologiste) qui se concertent pour décider d’un protocole thérapeutique. En cas de cancer, la patiente repart le soir avec un rendez-vous pour une première consultation.
La décision du traitement: un travail d’équipe
«Il existe deux grandes catégories de tumeurs malignes : les cancers localisés et ceux qui ont métastasé, explique le Dr Spielmann. Dans le premier cas, il peut y avoir une ou plusieurs tumeurs, associées ou non à un envahissement d’un ou plusieurs ganglions de l’aisselle. Dans les cancers métastasés, les cellules cancéreuses sont parvenues à envahir d’autres organes par les vaisseaux sanguins ou lymphatiques : os, poumons, foie... Les traitements vont être adaptés au type de cancer et à son stade d’évolution. La décision du protocole thérapeutique le plus adapté doit toujours se prendre en équipe pluridisciplinaire (chirurgien, oncologue médical, radiothérapeute, anatomopathologiste...). Ce travail, lors d’une même réunion, est le meilleur garant pour établir un traitement sur mesure.
Dans les cas de cancer localisé, on décide le plus souvent de l’enlever chirurgicalement (tumorectomie) s’il ne dépasse pas 3 à 4 centimètres. Mais pour une tumeur plus volumineuse, on commence d’abord par une chimiothérapie pour la réduire afin de pouvoir ensuite la retirer sans enlever le sein. Il y a un peu plus d’une dizaine d’années, c’était l’ablation. Aujourd’hui, on ne pratique une mastectomie que lorsqu’il y a plusieurs lésions cancéreuses dans le sein ou dans certaines indications incontournables.»
Des techniques restituant l’intégrité corporelle
«Les patientes, explique le Dr Daniel Zarca, bénéficient désormais d’un grand progrès: avant l’intervention, on se préoccupe déjà de l’aspect esthétique. L’opération se déroule en équipe avec la collaboration d’un chirurgien cancérologue et d’un plasticien, qui ont préparé ensemble leur protocole avant l’intervention. Notre souci, outre celui de la guérison, est de soulager la patiente en lui exposant les progrès qui lui permettront de retrouver son intégrité corporelle, sa féminité.» « Pour éviter au maximum les séquelles cicatricielles, poursuit le Dr David Benjoar4, dans la majorité des cas, le chirurgien cancérologue retire la tumeur ou la totalité de la glande par l’aréole.
1. Pour les cancers localisés, après la tumorectomie, une nouvelle technique dite d’oncoplastie permet de remodeler le sein afin de lui donner une forme naturelle. Le procédé consiste à déplacer une partie du tissu mammaire pour, par exemple, combler le creux. Il est souvent nécessaire de corriger l’autre sein pour rétablir l’harmonie et la symétrie du buste. 2. Quand le sein ne peut pas être conservé, on a, dans certains cas, la possibilité de réaliser une reconstruction immédiate, notamment lorsqu’une radiothérapie n’est pas programmée. Dans un premier temps, l’ablation est effectuée avec une technique qui préserve la peau et parfois même l’aréole et le mamelon. Après une mastectomie, le volume manquant est remplacé soit par un implant de silicone, soit par du tissu graisseux vascularisé prélevé au niveau de l’abdomen (technique DIEP) ou encore par un segment musculaire (le chirurgien déplace vers le sein une partie de l’extrémité vascularisée du muscle dorsal.).
Dans un second temps, le volume est augmenté et la forme galbée avec des injections de graisse purifiée (technique surtout utilisée pour les femmes maigres ou à la peau trop fine). Ces procédures de reconstruction autologue (réalisées avec les propres tissus de la patiente) évitent les inconvénients d’une prothèse (risque de coque, rigidité…). Avec le temps les seins évoluent de façon identique.» Après la chirurgie, selon l’établissement du protocole, un traitement sur mesure est prescrit: radiothérapie, hormonothérapie, chimiothérapie (seule ou en association); toutes ont bénéficié depuis deux décennies de progrès considérables !
La radiothérapie abaisserait de 65 à 80 % les récidives locorégionales
«Cette technique, explique le Dr Céline Bourgier, consiste à irradier le sein avec un appareil à accélérateurs linéaires délivrant des rayons de haute énergie, des faisceaux très précis qui atteignent en profondeur la zone à cibler en cassant l’ADN des cellules cancéreuses pour les détruire. Dans les cas où la chirurgie a pu être conservatrice, on irradie l’ensemble du sein pour éliminer d’éventuelles cellules malignes résiduelles, puis une dose supplémentaire est administrée à l’emplacement où se trouvait la tumeur. Depuis cinq ans, grâce à une planification du traitement par scanner extrêmement précise, on évite tout risque de toucher un organe avoisinant (cœur ou poumon).
Autre avancée: la radiothérapie sur mesure. Les tout derniers accélérateurs permettent d’adapter l’énergie à délivrer en fonction du volume du sein. Après une mastectomie, les indications de la radiothérapie diffèrent selon la taille qu’avait la tumeur ou l’envahissement des ganglions. Le traitement, qui se déroule en plusieurs séances (4 ou 5 quotidiennes sur une période de cinq à sept semaines), est généralement mieux supporté qu’une chimiothérapie aux effets secondaires plus lourds. Un nouveau protocole de radiothérapie, moins contraignant, a été récemment mis au point. Il concerne les femmes de plus de 60 ans, dont la tumeur ne dépasse pas 2 centimètres. Le traitement, qui comporte dix séances (deux quotidiennes de vingt minutes en cinq jours), cible uniquement les zones opérées. L’efficacité est remarquable.»
Pour certains petits cancers un traitement peropératoire
Les protocoles de radiothérapie ne cessent de s’améliorer et, dans les années à venir, les patientes de plus de 60 ans atteintes d’un cancer de moins de 2 centimètres sans envahissement ganglionnaire et de bon pronostic seront sans doute celles qui bénéficieront le plus des nouvelles techniques. Chez elles, un traitement dans un même temps opératoire associant chirurgie et radiothérapie est déjà utilisé dans certains centres spécialisés. «La procédure (encore à l’étude), explique le Dr Céline Bourgier, consiste juste après l’exérèse de la tumeur à mettre en place dans la zone opérée un applicateur (en forme de boule) relié à un appareil d’accélérateurs spécifique. Durant vingt minutes, il irradie les tissus qui entouraient le cancer. Le traitement local est donc effectué le même jour.»
La chimiothérapie ciblée:des missiles à tête chercheuse
Les drogues de chimiothérapie administrées par voie veineuse sont destinées à bloquer la croissance des cellules cancéreuses ou à les tuer. «Dans la majorité des cas, explique le Dr Spielmann, on prescrit une chimiothérapie dans un but préventif après l’exérèse de la tumeur. Une étape importante a été franchie ces dernières années avec l’arrivée des thérapies ciblées, qui atteignent spécifiquement les cellules malignes grâce à des drogues adaptées à chaque type de cancer.» Pour lui, comme pour le Pr Piccart, l’un des plus grands progrès a été la découverte de médicaments dirigés spécifiquement sur les tumeurs porteuses du récepteur HER2. «Le chef de file des thérapies ciblées contre ce récepteur, précise la spécialiste, est le
trastuzumab qui, administré tôt associé à une chimiothérapie, diminue de moitié le risque de récidive et augmente les chances de guérison.
Un nouveau médicament qui se comporte comme un cheval de Troie
Un deuxième “missile” visant le HER2 à un endroit différent est le
pertuzumab, qui s’est révélé prometteur (prescrit avec le trastuzumab et la chimiothérapie). Une grande étude internationale, “Aphinity”, coordonnée par notre Institut Jules-Bordet à Bruxelles, devrait démontrer la supériorité de ce protocole. Mais les progrès ne s’arrêtent pas là. Un nouveau médicament, le
T-DM1, conçu de façon très intelligente, se comporte comme un cheval de Troie: il utilise le trastuzumab pour s’accrocher aux cellules cancéreuses porteuses de HER2 et y introduire un produit de chimiothérapie pour les détruire. Le résultat est remarquable: particulièrement efficace, il agit sans atteindre les cellules saines, évitant beaucoup d’effets secondaires. Ce médicament devrait compléter l’arsenal thérapeutique des cancérologues en 2013-2014.»
«Un autre grand pas en avant dans la lutte contre le cancer, explique le Dr Marc Spielmann, a été réalisé ces dernières années avec la mise au point d’une nouvelle stratégie anti-angiogenèse. Pour se former et croître, les tumeurs ont besoin de se nourrir. Pour cela, elles fabriquent et attirent à elles leurs propres vaisseaux qui leur permettent de s’alimenter. On a donc conçu des médicaments ciblés capables de détruire ces derniers afin d’affamer puis de nécroser la tumeur. Des études internationales ont démontré l’efficacité de cette stratégie avec une molécule innovante, le
bevacizumab. D’autres travaux sont en cours pour mettre au point de nouveaux médicaments anti-angiogenèse, une voie de recherche prometteuse.»
1. Dr Marc Spielmann, chef de service, spécialiste du cancer du sein à l’Institut Gustave-Roussy de Villejuif.
2. Céline Bourgier, radiothérapeute à l’institut Gustave-Roussy de Villejuif.
3. Dr Daniel Zarca, chirurgien, spécialiste du cancer du sein.
4. Dr Marc-David Benjoar, chirurgien plasticien, hôpital Georges-Pompidou.