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| | Poême de Saint-Denys-Garneau | |
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Denis Rang: Administrateur
Nombre de messages : 17118 Date d'inscription : 23/02/2005
| Sujet: Autre Icare Ven 10 Avr 2009 - 1:10 | |
| Identité Toujours rompue.
Le pas étrange de notre coeur Nous rejoint à travers la brume On l'entend quel drôle de cadran.
Le noeud s'est mis à sentir Les tours de corde dont il est fait.
II.
Une chambre avec meubles Le cadran sur la console Tout cela fait partie de la chambre On regarde par la fenêtre On vient s'asseoir à son bureau On travaille On se repose Tout est tranquille.
Tout à coup: tic tac L'horloge vient nous rejoindre par les oreilles Vient nous tracasser par le chemin des oreilles Il vient à petits coups Tout casser la chambre en morceaux.
On lève les yeux; l'ombre a bougé la cheminée L'ombre pousse la cheminée Les meubles sont tout changés.
Et quand tout s'est mis à vivre tout seul Chaque morceau étranger S'est mis à contredire un autre.
Où est-ce qu'on reste Qu'on demeure Tout est en trous et en morceaux.
Référence : GARNEAU, Hector de Saint-Denys, Poésies. Regards et jeux dans l'espace. Les Solitudes, Montréal, Fides, 1972, p. 158-160.
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| | | Denis Rang: Administrateur
Nombre de messages : 17118 Date d'inscription : 23/02/2005
| Sujet: Re: Poême de Saint-Denys-Garneau Mer 8 Avr 2009 - 3:52 | |
| Il rôde autour de vos richesses et s'introduit dans vos bonheurs par effraction. Il voudrait se rassasier par ses yeux de votre joie. Est-ce qu'à la savoir il va l'avoir? C'est un pauvre irrémédiable. Il a beau s'épuiser par des escaliers de service pour entrevoir de plus près vos trésors, il y a un trou en lui par où tout s'échappe, tous ses souvenirs, tout ce qu'il aurait pu retenir. C'est comme un mendiant aux yeux mauvais qui interrogent, qui demandent servilement, sans fierté; vous lui offrez quelque chose et son regard s'allume de convoitise, mais sa besace est percée. Peut-être qu'avec tout cela il aurait pu se faire une espèce de festin; mais dès qu'il s'arrête pour un repas, il n'a plus rien. Il le sait bien à l'heure qu'il est, mais que voulez-vous qu'il fasse? Il a envie, c'est tout ce qu'il a, peut avoir : c'est sa vie.
C'est un pauvre et c'est un étranger, c'est-à-dire qu'il n'a rien, rien à échanger : un étranger. Mais il ne joue pas franc jeu, il veut prendre part. Prendre part à votre vie, joie ou douleur. C'est un imposteur. De quels habits ne se revêt-il pas; habit d'ami, de collaborateur, de correspondant, etc. Il vole quelque chose ici pour le porter là, mais c'est un commerce épuisant, d'autant plus qu'il en perd la moitié en chemin, qu'il est toujours à moitié vide, au moins. Il ne peut rien retenir, on le sait : c'est un pauvre irréparable.
À l'heure qu'il est chacun sait qu'il est un imposteur, tous les habits sont usés, toutes les contenances. Comme on dit : il a perdu contenance. Il suffit de le regarder, il perd contenance, sa forme de toutes parts cède comme un sac de papier gonflé d'air, il devient tout flasque et son regard épouvanté cherche dans tous les coins de la chambre un trou de rat par où se glisser et fuir à toutes jambes jusqu'à dormir d'épuisement. Ça se comprend: il est pris en flagrant délit de pauvreté dans un habit volé en guise de cuirasse pour tenir debout.
Alors, qu'est-ce qu'on va faire de lui? C'est la question, c'est le problème. Vous, les riches, qu'allez-vous en faire, de ce pauvre irréparable, qui, par en plus, est étranger et, par en plus, est imposteur? Et lui-même se le demande, qu'est-ce qu'on peut faire à son sujet? Impossible de le garder avec vous bien longtemps, même avec la meilleure volonté. Quand on l'a vu se dégonfler une fois, cela devient un malaise insupportable de l'avoir parmi vous. On se met à parler un peu plus fort et plus distinctement que ne voudrait le naturel; les regards sont trop indifférents; on sent une contrainte. Chacun au fond, appréhende : «Est-ce qu'il va se dégonfler?» Et lui-même est dans la pire angoisse, le souffle oppressé, tout tendu à garder sa contenance, à ne pas perdre contenance. Dans ces conditions, l'existence est impossible pour tout le monde.
Pourquoi lui-même, qui souffre bien le plus dans toute cette machine mal arrangée, pourquoi ne s'en va-t-il pas? Il passe ici bien des étrangers, pourquoi celui-ci demeure-t-il? Il est vrai que les étrangers qui passent s'en vont à leur affaire alors que celui-ci, étant pauvre, n'a pas d'affaire où aller.
Référence : GARNEAU, Hector de Saint-Denys Oeuvres en prose, édition critique établie par Giselle Huot, Montréal, Fides, 1995, p. 623-626. | |
| | | Denis Rang: Administrateur
Nombre de messages : 17118 Date d'inscription : 23/02/2005
| Sujet: Accompagnement Jeu 26 Mar 2009 - 3:53 | |
| Je marche à côté d’une joie D’une joie qui n’est pas à moi D’une joie à moi que je ne puis pas prendre
Je marche à côté de moi en joie J’entends mon pas en joie qui marche à côté de moi Mais je ne puis changer de place sur le trottoir Je ne puis pas mettre mes pieds dans ces pas-là et dire voilà c’est moi
Je me contente pour le moment de cette compagnie Mais je machine en secret des échanges Par toutes sortes d’opérations, des alchimies, Par des transfusions de sang Des déménagements d’atomes par des jeux d’équilibre
Afin qu’un jour, transposé, Je sois porté par la danse de ces pas de joie Avec le bruit décroissant de mon pas à côté de moi Avec la perte de mon pas perdu s’étiolant à ma gauche Sous les pieds d’un étranger qui prend une rue transversale.
(In Regards et jeux dans l'espace, 1937) | |
| | | Denis Rang: Administrateur
Nombre de messages : 17118 Date d'inscription : 23/02/2005
| Sujet: Re: Poême de Saint-Denys-Garneau Sam 7 Avr 2007 - 12:35 | |
| FACTION On a décidé de faire la nuit Pour une petite étoile problématique A-t-on le droit de faire la nuit Nuit sur le monde et sur notre cœur Pour une étincelle Luira-t-elle Dans le ciel immense désert
On a décidé de faire la nuit pour sa part De lâcher la nuit sur la terre Quand on sait ce que c’est Quelle bête c’est Quand on a connu quel désert Elle fait à nos yeux sur son passage
On a décidé de lâcher la nuit sur la terre Quand on sait ce que c’est Et de prendre sa faction solitaire Pour une étoile encore qui n’est pas sûre Qui sera peut-être une étoile filante Ou bien le faux éclair d’une illusion Dans la caverne que creusent en nous Nos avides prunelles. | |
| | | Denis Rang: Administrateur
Nombre de messages : 17118 Date d'inscription : 23/02/2005
| Sujet: Re: Poême de Saint-Denys-Garneau Ven 27 Jan 2006 - 7:46 | |
| UN POÈME A CHANTONNÉ TOUT LE JOUR
Un poème a chantonné tout le jour Et n'est pas venu On a senti sa présence tout le jour Soulevante Comme une eau qui se gonfle Et cherche une issue Mais cela s'est perdu dans la terre Il n'y a plus rien
On a marché tout le jour comme des fous Dans un pressentiment d'équilibre Dans une prévoyance de lumière possible Comme des fous tout à coup attentifs À un démêlement qui se fait dans leur cerveau À une sorte de lumière qui veut se faire Comme s'ils allaient retrouver ce qui leur manque La clef du jour et la clef de la nuit Mais ils s'affolent de la lenteur du jour à naître Et voilà que la lueur s’en re-va S’en retourne dans le soleil hors de vue Et la porte de l’ombre se referme Sur la solitude plus incompréhensible Comme une note qui persiste, stridente, Annihile le monde entier.
@#@
Dernière édition par Denis le Mar 8 Avr 2014 - 11:32, édité 2 fois | |
| | | Denis Rang: Administrateur
Nombre de messages : 17118 Date d'inscription : 23/02/2005
| Sujet: Re: Poême de Saint-Denys-Garneau Mar 14 Juin 2005 - 8:24 | |
| C'EST EUX QUI M'ONT TUÉ
C'est eux qui m'ont tué Sont tombés sur mon dos avec leurs armes, m'ont tué Sont tombés sur mon dos avec leur haine, m'ont tué Sont tombés sur mes nerfs avec leurs cris, m'ont tué
C'est eux en avalanche m'ont écrasé Cassé en éclats comme du bois
Rompu mes nerfs comme un câble de fils de fer Qui se rompt net et tous les fils en bouquet fou Jaillissent et se recourbent, pointes à vif
Ont émietté ma défense comme une croûte sèche Ont égrené mon coeur comme de la mie Ont tout éparpillé cela dans la nuit
Ils ont tout piétiné sans en avoir l'air, Sans le savoir, le vouloir, sans le pouvoir, Sans y penser, sans y prendre garde Par leur seul terrible mystère étranger Parce qu'ils ne sont pas à moi venus m'embrasser
Ah! dans quel désert faut-il qu'on s'en aille Pour mourir de soi-même tranquillement.
Saint-Denys-Garneau
Dernière édition par le Sam 8 Déc 2007 - 1:34, édité 1 fois | |
| | | Denis Rang: Administrateur
Nombre de messages : 17118 Date d'inscription : 23/02/2005
| Sujet: Poême de Saint-Denys-Garneau Sam 26 Fév 2005 - 14:48 | |
| LASSITUDEJe ne suis plus de ceux qui donnent Mais de ceux-là qu'il faut guérir. Et qui viendra dans ma misère? Qui aura le courage d'entrer dans cette vie à moitié morte? Qui me verra sous tant de cendres, Et soufflera, et ranimera l'étincelle? Et m'emportera de moi-même, Jusqu'au loin, ah! au loin, loin! Qui m'entendra, qui suis sans voix Maintenant dans cette attente? Quelle main de femme posera sur mon front Cette douceur qui nous endort?
Quels yeux de femme au fond des miens, au fond de mes yeux obscurcis, Voudront aller, fiers et profonds, Pourront passer sans se souiller, Quels yeux de femme et de bonté Voudront descendre en ce réduit Et recueillir, et ranimer et ressaisir et retenir Cette étincelle à peine là? Quelle voix pourra retentir, quelle voix de miséricorde voix claire, avec la transparence du cristal Et la chaleur de la tendresse Pour me réveiller à l'amour, me rendre à la bonté, m'éveiller à la présence de Dieu dans l'univers ? Quelle voix pourra se glisser, très doucement, sans me briser, dans mon silence intérieur ?
Dernière édition par le Sam 7 Avr 2007 - 12:36, édité 4 fois | |
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