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 C'est pas à se rouler par terre mais ça fait sourire.

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AuteurMessage
Denis
Rang: Administrateur
Denis


Nombre de messages : 17118
Date d'inscription : 23/02/2005

C'est pas à se rouler par terre mais ça fait sourire. Empty
MessageSujet: C'est pas à se rouler par terre mais ça fait sourire.   C'est pas à se rouler par terre mais ça fait sourire. Icon_minitimeSam 14 Avr 2007 - 14:47

Texte de Foglia trouvé sur cyberpresse :



Les mangues

[email]Pierre Foglia[/email]

La Presse

J'ai un ami, à peu près de mon âge, auquel on a annoncé deux fois, ces derniers mois, qu'il avait «peut-être» le cancer. Finalement il ne l'a pas. Alors voilà, c'est l'histoire d'un monsieur qui n'a pas le cancer.

Une première fois cet automne, la prostate. Pipi suspect, son médecin l'envoie à un urologue, qui lui dit : écoutez, pour en avoir le coeur net, on va faire une biopsie.

Ça t'a fait mal?

Non, ce n'est pas douloureux. Ça pince un peu. On te rentre une sorte de fusil et pan!





Pan?

Oui, pan! Comme une détonation de fusil à air comprimé. Chaque coup tiré t'arrache un petit bout de prostate. Pan, pan, pan. Douze fois. Comme à la chasse aux canards. Après, tu retournes chez vous et t'attends que l'urologue t'appelle.

Et bien sûr l'attente est épouvantable?

Oui.

Et tu penses à la mort à tous les instants?

Pas du tout. Tu penses à la vie. Tu vois des trucs que tu ne voyais pas.

Comme quoi?

Comme la lumière à la fin du jour. Tu sens des trucs que tu ne sentais pas.

Comme quoi?

Comme le vent sur ta peau. Comme la fatigue. Comme une mangue.

Une mangue?

Oui. Tu manges une mangue et ça goûte la mangue, autant dire le bonheur, et tu pleures parce que, pour toi, c'est fini, les mangues. Tu connais Alain, le philosophe? Ses propos sur le bonheur? Dans ces propos, il dit que la fraise a un goût de fraise comme la vie a le goût du bonheur. Eh bien! Durant ces jours où tu attends l'appel du médecin, la vie a formidablement le goût du bonheur, et la mangue le goût de la mangue, et tout est incroyablement vivant et odorant et sensible, mais c'est fini, c'est le dernier bouquet du feu d'artifice, après ce sera la nuit. Dans ces jours-là, tu n'arrêtes pas de te demander comment il se fait que tu n'as pas senti ça avant.

Pour passer son angoisse, mon ami allait bûcher dans son bois. Parfois, raconte-t-il, je retrouvais un semblant de sérénité, je rêvais : le médecin va m'appeler et me dire que je n'ai rien. Je me promettais alors, si je retrouvais ma vie d'avant, que justement, ce ne serait jamais plus comme avant. La lumière de la fin du jour m'emplirait. Le vent sur ma peau me fouetterait les sangs. La fatigue me soûlerait. Les mangues goûteraient ce qu'elles ont toujours goûté : le sexe des filles. Je ne vivrais plus jamais comme si j'étais immortel, et à la fin je mourrais d'avoir vécu.

Le médecin a appelé : négatif, vous n'avez rien!

Vous ne le croirez pas, l'euphorie de mon ami n'a duré que quelques heures. À la fin de la journée, il était redevenu aussi glauque qu'avant. La lumière de la fin du jour? Quelle lumière? C'était en novembre et il fait nuit au milieu de l'après-midi. Et t'as vu ce vent?

Je suis désespéré de moi-même, m'a-t-il avoué. Quand le médecin a raccroché, j'ai ri, j'ai pleuré. Après ça, je t'ai appelé, je voulais qu'on aille rouler à Cuba, tu te souviens? Un bonheur immense qui a duré jusque... jusqu'au souper! Jusqu'au dessert, précisément. J'ai ouvert la mangue, j'ai dit à me femme : fait chier, elle est un peu blette.

Je suis désespéré de moi-même, a-t-il repris. Qu'est-ce qu'on n'est pas doué pour vivre. Qu'est-ce qu'on est nul pour sentir le vent sur sa peau. Qu'est-ce qu'on est nul pour s'illuminer de la lumière du jour. Et comme on est loin de penser à donner un prénom à la mangue dont le jus nous dégouline des babines. Marie-Christine, mettons. Je me demande pourquoi on a si peur de mourir, on est déjà tous des cadavres, aussi morts que des poèmes traduits (mon ami est traducteur, sa spécialité : du français au français).

C'était en novembre. En février, nouvelle alerte, cette fois la vessie. Je vous jure que je n'invente rien, plein de gens avec qui je travaille ont reconnu cet ami et pourront attester de la véracité de mon histoire.

Ouyouille! Ça, ça fait mal, a grimacé mon ami. On te rentre une caméra par l'urètre.

Attends, tu dis par l'urètre?

Oui, par le trou au bout de la queue.

Et de me donner des détails que je ne lui demandais pas. J'ai d'abord cru que c'était par vantardise, comme les anciens combattants : j'étais à Vimy, moi, monsieur! Puis j'ai compris : il ne se vante pas, il se venge! Il veut qu'on ait mal aussi, par anticipation, pour quand ce sera notre tour. Arrête! Une caméra! Par le méat? Plus on freake, plus il est ravi, ce con.

L'urologue n'a rien vu avec la caméra. Alors ils l'ont endormi. Pour une autre biopsie, de la vessie cette fois. Pendant une semaine, il s'est retrouvé à pisser par une sonde, dans un sac fixé sur la cuisse. Il s'est retrouvé aussi dans l'attente du résultat de la biopsie. Superstitieux comme un vieil Italien, il était persuadé que la première fois n'avait été qu'une répétition, un test que le ciel lui avait fait passer sur sa capacité d'apprendre à vivre. Il avait échoué et, cette fois, il n'y couperait pas. Il m'a envoyé un courriel pour me dire de ne pas l'appeler. Qu'il voulait mourir comme le loup de Vigny, seul le silence est grand, tout le reste est faiblesse. Je lui ai répondu quand même : mais si tu ne meurs pas?

Cette fois, je saurai vivre, m'a-t-il répliqué, grandiloquent (la chose est assez courante chez les intimes de Vigny). Je n'ai plus eu de ses nouvelles jusqu'à il y a deux semaines alors que des amis cyclistes m'ont rapporté l'avoir vu dans la côte de la douane de Richford. Je viens de l'appeler.

Pis?

Négatif. J'ai rien.

Tu dois être fou comme un balai?

Je suis découragé.

Comment ça?

As-tu vu le temps de merde qu'il fait? Y neige pas, chez vous?
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