La thérapie anti cancéreuse ciblée pour épargner les cellules saines
(Par Louise Harel, Directeur de Recherche Honoraire CNRS) - Née dans la dernière décennie, cette thérapie constitue une avancée prometteuse dans le traitement des cancers : elle cherche à détruire spécifiquement les cellules tumorales en respectant les cellules saines.
Voici un bon résumé des connaissances acquises sur le traitement ciblée :Écrit par
Louise Harel
Notre corps est formé d’environ cent mille milliards de cellules. L’ADN qui s’y trouve est une grosse molécule composée de deux chaines. Chacune d’entre elles est constituée de la succession de quatre molécules appelées nucléotides (dA, dT, dC, dG). Il existe un très grand nombre de combinaisons possibles de ces molécules. Les gènes (environ 30 000 chez l’homme) sont des segments d’ADN capables de donner l’instruction de fabriquer une protéine. C’est l’ordre dans lequel s’enchaînent les quatre nucléotides qui détermine l’identité du gène et celle de la protéine fonctionnelle qui est produite.
De nombreux mécanismes de transformation cancérigène sont connus : modifications au niveau de l’ADN (mutations, amplification, dérégulation de gènes) ou encore émergence d’oncogènes cellulaires ou viraux. Il peut s’agir aussi de modifications sans altération des séquences nucléotidiques (phénomènes épigénétiques) tels que l’addition de radicaux chimiques à l’ADN. Ces remaniements entraînent des changements dans la structure des protéines produites, et, par la même, de leurs propriétés. Ainsi, la synthèse d’une protéine stimulatrice de la prolifération cellulaire peut être induite. Il se peut aussi que la production d’un facteur de la famille des suppresseurs de tumeur, protéines qui s’opposent à la prolifération tumorale, soit supprimée.
L’absence de ce type de facteur entraînera une multiplication anormale des cellules.
Associée ou non à la chirurgie, la thérapie du cancer s’applique à empêcher la multiplication des cellules malignes en injectant des molécules toxiques pour les cellules en prolifération rapide (chimiothérapie) ou en ciblant l’ADN des cellules tumorales à l’aide d’éléments radioactifs afin de les détruire (radiothérapie). Malheureusement, ces méthodes ne s’attaquent pas spécifiquement aux cellules malignes : elles induisent aussi la mort des cellules saines en prolifération rapide, comme les cellules sanguines.
De nouvelles approches dites « thérapies ciblées » visent à agir plus spécifiquement sur les cellules tumorales. Elles interviennent principalement sur les signaux qui ordonnent à la cellule de se multiplier. On agit essentiellement à la surface des cellules, sur les récepteurs des facteurs de croissance (facteurs qui induisent la prolifération cellulaire), ou à l’intérieur de la cellule, sur les voies de transmission de ces signaux. En effet dans le processus de prolifération cellulaire, tout commence par la fixation d’un facteur de croissance à son récepteur situé à la surface des cellules. C’est cette fixation qui « activera » le récepteur et entraînera la cascade d’événements intra cellulaires aboutissant à la prolifération.
Les thérapies ciblées consistent souvent, et selon les types de cancer, à empêcher la fixation des facteurs de croissance à leurs récepteurs. On dit qu’on bloque les récepteurs. La stratégie consiste à associer ces récepteurs à une molécule spécialement fabriquée (appelée anticorps monoclonal) qui prend la place du facteur de croissance et empêche celui-ci d’agir sur sa cible. A titre d’exemple, on peut citer :
- Le
Trastuzumab (ou Herceptin) qui constitue un considérable progrès dans le traitement du cancer du
. Il ne concerne pas toutes les patientes mais 20% d’entre elles, celles dont la tumeur présente une surabondance de récepteurs HER2, un des récepteurs du facteur de prolifération EGF (Epidermal Growth Factor). Le trastuzumab est un un anticorps monoclonal qui se fixe au récepteur HER2. Le récepteur n’est alors plus libre pour l’EGF, qui, de ce fait, ne peut plus exercer son action stimulatrice sur la multiplication cellulaire.
- L’autre tactique de thérapie ciblée sur les signaux de prolifération cellulaire consiste, si le type de cancer l’exige, à inhiber les voies de transmission intra cellulaires des signaux induits par les facteurs de croissance. On peut citer quelques médicaments élaborés pour atteindre ce but :
- Le
Glivec (imatinib mesylate), considéré comme le traitement de référence des leucémies myéloïdes chroniques. Dans cette maladie, un échange de matériel entre deux chromosomes aboutit à la production d’une protéine (appelée tyrosine kinase) activée spontanément, en permanence et de manière incontrôlable, hors de l’action de tout facteur de croissance. La tyrosine kinase est bien connue pour être un facteur clé dans l’induction de la multiplication cellulaire. Le Glivec est une petite molécule qui inhibe l’activité des tyrosines kinases, un anti tyrosine kinase. Il a grandement amélioré les résultats des traitements. D’une taille plus petite que
les anticorps monoclonaux anti tyrosine kinase mis au point antérieurement, il pénètre plus facilement dans la cellule.
- Le développement des tumeurs stromales digestives résulte de la mutation du récepteur d’un facteur de croissance, c-kit (récepteur du Stem Cell Factor). Lorsque ces tumeurs sont inopérables ou métastatiques, leur traitement repose aussi sur le Glivec, inhibiteur des tyrosines kinases activées spontanément par suite de cette mutation.
-
L’Erlotinib ou le Géfitinib, utilisés dans le traitement des cancers bronchiques. Dans ce type de cancer les récepteurs d’un facteur de croissance appelé EGF (pour Epidermal Growth Factor) sont spontanément activés, ce dont résulte ici aussi, l’activation des tyrosines kinases et l’induction de la prolifération cellulaire. Ces médicaments sont aussi de petites molécules qui inhibent spécifiquement des tyrosines kinases produites par l’activation du récepteur de l’EGF. Leur effet empêche l’action du facteur de croissance.
Il faut signaler enfin l’existence de deux catégories de thérapie ciblée basées sur des mécanismes différents de celui de l’inhibition de la prolifération cellulaire :
- Dans 85% des mélanomes se trouve une molécule appelée Bcl2 qui s’oppose à la mort programmée des cellules (apoptose). Ces tumeurs sont traitées par un anti corps anti Bcl2.
- Un autre type de thérapie ciblée très intéressant consiste à « affamer » les tumeurs en inhibant le développement des vaisseaux sanguins qui les irriguent. L’irrigation sanguine est l’un des facteurs qui permet la croissance tumorale. Le
Bevacizumab ou Avastin est employé pour inhiber le développement des vaisseaux sanguins (angiogénèse) dans les cancers digestifs. Ce médicament est, encore une fois, un
anticorps monoclonal. Il se lie au VEGF (pour Vascular Endothelial Growth Factor), puissant stimulant de l’angiogénèse, interdisant ainsi la liaison de ce dernier avec ses propres récepteurs, donc son action. La vascularisation de la tumeur s’en trouve inhibée.
Aujourd’hui, les thérapies ciblées ne sont pas suffisantes en général pour guérir un cancer. On les utilise en complément des traitements plus classiques. Non seulement elles en améliorent l’efficacité, mais elles permettent de les administrer à des doses plus faibles, moins nocives pour les cellules saines. Un grand nombre de thérapies anti cancéreuses ciblées sont en cours de développement. Il faut espérer qu’à l’avenir elles pourront être utilisées en traitement unique, permettant ainsi d’exploiter l’avantage considérable qu’elles présentent : la préservation des cellules saines.
(*) Les origines du cancer. Louise Harel. Que sais-je ? Presse Universitaires de France, 2008
Louise Harel