Yves Préfontaine (1937- ) Yves Préfontaine est né en 1937 à Montréal. Après ses études classiques au collège Stanislas, il s'inscrit en anthropologie à l'Université de Montréal. Il obtient son baccalauréat en 1964 et sa maîtrise en 1966. Cependant, dès 1959, il fonde, avec d'autres écrivains, la revue
Liberté dont il devient le rédacteur en chef. Il collabore à divers journaux et périodiques, tels
Le Devoir,
Le Nouveau Monde et
La Presse. Yves Préfontaine produit également des émissions radiophoniques consacrées au jazz, à la poésie et aux cultures amérindiennes (1956-1966). En 1970, après des études doctorales en sociologie à Paris, il occupe diverses fonctions, d'abord comme fonctionnaire au Ministère des Communications et à Radio-Québec, puis comme professeur à l'Université McGill (1970-1971) et à l'Université de Québec à Montréal (1974-1975). Nommé conseiller au Ministère de l'Éducation en 1977, il est appelé à occuper divers postes dans la fonction publique. Sa carrière poétique l'amène tout d'abord à explorer « le lyrisme du froid » dans son premier recueil publié chez Boréal (1957), puis à développer le thème du pays dans les trois autres recueils qu'il publie aux éditions de l'Hexagone :
Pays sans parole (1967),
Débâcle suivi de
À l'orée des travaux (1970) et
Nuaison (1981). Le poème qui suit est tiré de
Pays sans parole qui a valu à son auteur le Prix de la Province de Québec et le Prix France-Québec en 1968.
Peuple inhabité J'habite un espace où le froid triomphe de l'herbe, où la grisaille règne en lourdeur sur des fantômes d'arbres.
J'habite en silence un peuple qui sommeille, frileux sous le givre de ses mots. J'habite un peuple dont se tarit la parole frêle et brusque.
J'habite un cri tout alentour de moi ---
pierre sans verbe ---
falaise abrupte ---
lame nue dans ma poitrine d'hiver ---
Une neige de fatigue étrangle avec douceur le pays que j'habite.
Et je persiste en des fumées.
Et je m'acharne à parler.
Et la blessure n'a point d'écho.
Le pain d'un peuple est sa parole.
Mais point de clarté dans le blé qui pourrit.
J' habite un peuple qui ne s'habite plus.
Et les champs entiers de la joie se flétrissent sous tant de sécheresse et tant de gerbes reniées.
J'habite un cri qui n'en peut plus de heurter, de cogner, d'abattre ces parois de crachats et de masques.
J'habite le spectre d'un peuple renié comme fille sans faste.
Et mes pas font un cercle en ce désert. Une pluie de visages blancs me cerne de fureur.
Le pays que j'habite est un marbre sous la glace.
Et ce pays sans hommes de lumière glisse dans mes veines comme femme que j'aime.
Or je sévis contre l'absence avec, entre les dents, une pauvreté de mots qui brillent et se perdent.
Yves Préfontaine, « Peuple inhabité », Parole tenue, poèmes, Montréal, 1954-1955,
© 1990, Éditions de l'Hexagone et Yves Préfontaine