Les liens entre nutrition et cancer sont désormais reconnus. Mais une ère nouvelle s’ouvre grâce aux études détaillées de l’impact de certains nutriments sur notre patrimoine génétique. Capitales pour prévenir la maladie et les rechutes, ces avancées stimulent les chercheurs. Prospective et explications.
Imaginez : d’ici une dizaine d’années (voire un peu moins, avancent certains scientifiques) vous pourrez recevoir, après avoir effectué un banal prélèvement sanguin, des recommandations de « nutrition personnalisée » établies à partir de l’étude détaillée de votre génome (ensemble de vos gênes). Ces régimes alimentaires à visée préventive et thérapeutique devraient vous empêcher de développer un cancer, et si par malchance vous avez déjà été touché par la maladie, devraient vous protéger d’éventuelles rechutes…
Un rêve fou? De moins en moins chaque jour. Grâce aux progrès de la Nutrigénomique, tous les espoirs sont permis.
Génome et alimentation : un couple soudé
Cette nouvelle science étudie globalement l’influence de notre alimentation sur l’expression de nos gênes : les acides gras polysaturés entraînent-ils à long terme des mutations ou altérations de notre ADN ? Quelles composantes nutritionnelles favorisent le maintien de notre intégrité génétique, si précieuse face au développement anarchique des cellules cancéreuses ?
Autant de questions auxquels les chercheurs s’attèlent : « C’est incroyable ce qu’un changement de régime alimentaire peut provoquer sur le plan génétique, explique le Pr Yves-Jean Bignon, directeur du département d’Oncogénétique du Centre de Lutte anti-Cancer Jean Perrin à Clermont-Ferrand. On s’est ainsi rendu compte que si l’on modifie l’alimentation des souris d’une génération à l’autre, la glande mammaire des animaux de la nouvelle génération s’en trouve affectée ! »
L’autre grand aspect de la génomique nutritionnelle est la nutri-génétique. «Elle étudie la façon dont un individu réagit à certains nutriments comparativement à une autre personne et l’influence de cette variabilité sur la prédisposition à certaines maladies », écrit le Pr Walter Wahli du Centre intégratif de génomique de l’université de Lausanne dans l’une des premières études sur le sujet.
Ces deux grands types de recherches, combinés, sont désormais menés dans une optique thérapeutique. Et grâce à de récents progrès technologiques, ils viennent de connaître un formidable bon en avant. « Aujourd’hui, en ayant recours à la bio-informatique, nous pouvons étudier un génome humain et analyser des milliers de données en une semaine, se réjouit le Pr Yves-Jean Bignon. Jusque-là, on connaissait les risques liés aux mutations d’un seul gêne. On peut désormais établir les risques liés à des profils génétiques ».
Le profilage génético-alimentaire
On n’en est pas encore à la phase d’application clinique !« Mais on s’en approche, poursuit le Pr Yves-Jean Bignon, car on perçoit déjà certains profils évocateurs. Pour les femmes ayant eu un cancer du sein -et les hommes atteints à la prostate- certains profils métaboliques imposent un régime hypocalorique faible en graisses animales; dans les cas de cancers ORL, il est désormais prouvé que l’intoxication alcoolo-tabagique est en grande partie responsable de la mutation des cellules. Peu à peu, on pourra dès l’annonce du diagnostic, préconiser des régimes spécifiques aux malades»
C’est un peu l’ère de la haute couture génético-alimentaire qui s’ouvre après des années de « prêt à penser du bien manger ». Bien loin des consignes globales qui se sont répandues dans le grand public (du type : « manger des brocolis éloigne le cancer »), on pourra donc former des recommandations alimentaires sur mesure, considérant les besoins nutritionnels personnels selon le génotype des individus, leur âge, sexe, et surtout leur activité physique et professionnelle.
Crise énergétique chez l’humain
Ces «signatures alimentaires » permettront peut-être d’empêcher la diabolisation de certains aliments car nos problèmes de santé ont en réalité une autre origine que la simple « malbouffe » connue du public : l’inadéquation entre notre régime alimentaire actuel et notre patrimoine génétique.
Nous sommes en effet équipés génétiquement d’un système qui nous permet de courir des heures dans les bois pour chasser du gibier, cueillir des fruits au sommet des arbres, nous défendre d’ennemis féroces …et nous restons assis toute la journée ! «La sédentarité est réellement le mal de notre siècle, affirme le Pr Yves-Jean Bignon. Les gens prennent des trains, des autos, des bus, des avions, mais ils ne se servent plus de leurs deux jambes ! C’est un problème majeur car notre patrimoine génétique ne nous a pas programmés pour nous reposer ».
Ainsi, si nous ne sommes pas tous égaux du point de vue génétique face au cancer, ces nouvelles prises en compte de profils à risque ou non, ces recommandations alimentaires « sur mesure » et la prise de conscience de la nécessité de dépenser notre énergie pourraient amener des changements majeurs dans le traitement des cancers.
Pascale SENK
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