Alors que pendant des années la prévention a été présentée comme le fer de la lance de la lutte contre le cancer, il semble que le mouvement s’inverse actuellement. Des groupes d’experts proposent en effet de réduire les examens de dépistage pour la prostate et l’utérus et ils soulignent que ces dépistages ne sont pas sans poser des problèmes.
C’est le United States Preventive Services Task Force aux Etats Unis qui a jeté le premier un pavé dans la mare l’année dernière en affirmant que les mammographies ne semblaient pas présenter d’intérêt pour les femmes dans leur quarantaine, et que les femmes âgées de 50 à 74 ans pourraient se contenter d’une mammographie tous les deux ans, au lieu d’une mammographie annuelle. Cette année, c’est l’analyse des P.S.A., requise pour la prévention des cancers de la prostate, qui a été accusée de faire plus de mal que de bien. Le même rapport suggère de réduire la fréquence des dépistages des cancers du col de l’utérus par le test PAP tous les 3 ans, au lieu d’un rythme annuel.
Ce sont les progrès dans la connaissance de ces maladies qui conduisent les médecins à adopter ces positions. Le cancer a été découvert en 1845 par un médecin allemand, Rudolf Virchow, qui a examiné des tumeurs lors d’autopsies et conclu qu’elles étaient des croissances incontrôlées qui se répandaient dans le corps et provoquaient la mort. Ce médecin avait examiné des cancers mortels ; mais il y en a quantité d’autres. Ainsi, sur les dernières années, les chercheurs ont trouvé que beaucoup de cancers, si ce n’est la plupart, sont inoffensifs. Ils se développent très lentement ou cessent totalement de croître. « Nous sommes en train de passer d’une définition du cancer datant de 1845 à une définition du 21ème siècle », explique le docteur Brawley, qui préside l’American Cancer Society.
La question n’est donc plus seulement de trouver un cancer. Il s’agit aussi de savoir si ce cancer est potentiellement mortel. Deux récents essais de dépistage du cancer de la prostate ont jeté des doutes sur leur capacité à sauver des vies, et ils se sont avérés très invalidants pour les patients, des hommes qui n’auraient pas été affectés outre mesure par leur cancer. Les études sur la mammographie ont montré qu’elle a permis de dépister 138.000 cas de cancer chaque année. Mais pour 120.000 à 134.000 d’entre eux, le cancer trouvé avait ou bien déjà atteint un stade mortel, ou bien, au contraire, il progressait trop lentement pour poser une réelle menace. Sur la dernière décennie, les experts du cancer ont accumulé de plus en plus de preuves de la très relative efficacité des dépistages, qui ne permettraient de détecter des cancers dangereux à un stade précoce que dans des cas peu nombreux.
Mais il sera difficile à faire comprendre aux usagers et aux médecins généralistes qui sont en contact régulier avec les patients, et qui redoutent d’avoir à leur expliquer pourquoi on leur refuse le dépistage. Mais le Docteur Brawley est optimiste, et il affirme que les points de vue sont déjà en train de changer.