Quand il a appris la nouvelle, le Dr Richard Béliveau a pleuré de joie. Le médicament contre les tumeurs cérébrales sur lequel son équipe travaille depuis des années a récemment reçu l’approbation des autorités américaines pour passer en phase 3 des tests cliniques, une étape que peu de traitements contre le cancer franchissent. «Un des plus beaux jours de ma vie», avoue le docteur en biochimie. À quels patients s’adresse le ANG1005, le médicament que votre laboratoire de l’UQAM a créé?Il s’agit de patientes qui ont d’abord eu un cancer du
et dont les méta-stases se sont rendues au cerveau. Le nom scientifique de ce cancer est carcinomatose leptoméningée.
Pourquoi avoir décidé de vous attaquer à ce type de cancer?Il y a 30 ans, je me suis posé la question: quels sont les pires cancers, ceux pour lesquels on n’a pas de traitement? Les tumeurs au cerveau arrivent en haut de la liste. Le pronostic n’a pratiquement pas changé depuis 50 ans pour ces tumeurs-là. Donc, on a décidé de s’y attaquer. Aussi, c’est pour moi le plus dévastateur des cancers. Parce que ça détruit le siège de la personnalité, le siège de ce que vous êtes comme individu. Celles qui sont atteintes de métastases du cancer du sein au cerveau ont généralement cinq à six semaines à vivre. C’est une catastrophe d’un point de vue clinique.
Comment avez-vous procédé?Le problème, c’est qu’il existait déjà de beaux médicaments [efficaces contre les tumeurs], mais on n’était pas capable de les faire entrer dans le cerveau en raison de la barrière hématoencéphalique. C’est cette barrière qui empêche la circulation sanguine de se rendre au cerveau. Il y a juste quelques molécules qui peuvent la pénétrer. Il fallait d’abord commencer par la comprendre. On a donc identifié des failles dans la barrière. On a trouvé des protéines appelées «peptides», qui permettaient le passage. On les a toutes examinées et on a créé une supermolécule hybride qui combinait tous leurs avantages. Donc, ce qu’on a créé, c’est un vecteur de pénétration. À travers ce peptide, qui agit comme un cheval de Troie, on va amener le médicament de chimiothérapie qu’on veut transporter jusqu’au cerveau.
Et ça fonctionne?C’est absolument hallucinant. En général, vous avez 20 % des patients qui répondent au traitement. Nous, on a de 75 % à 90 % des patients qui répondent. Et pour ces patients, on arrive à doubler le temps de survie. Pour une personne avec des métastases de cancer du sein dans le cerveau, la survie moyenne est généralement de trois mois. Avec le traitement, on arrive à allonger la survie à huit mois. On a certains patients qui ont été guéris complètement. C’est une percée majeure. On n’a pas gagné la guerre encore, mais on vient de gagner une grosse bataille.
Le 23 juin dernier, vous avez appris que la Food and Drug Administration (FDA), l’agence américaine qui approuve les médicaments, a donné l’autorisation de passer à la phase 3 des essais cliniques. Pourquoi passer par les États-Unis d’abord?C’est toujours comme ça que ça fonctionne. Une fois qu’un médicament est approuvé aux États-Unis, il peut facilement être approuvé ailleurs.
Cela fait 30 ans que vous travaillez à lutter contre le cancer. Est-ce la première fois dans votre carrière qu’un médicament se rend aussi loin?Ben oui! Ça arrive une fois dans la vie d’un chercheur. Il y a environ un médicament sur 10 000 qui se rend à la phase 3.
Quelle a été votre réaction quand vous avez appris la nouvelle?C’est un des plus beaux jours de ma vie. J’étais assis dans un restaurant. Ça me fait quelque chose même d’en parler encore... Ça m’a fait pleurer. De joie. [Il s’essuie les yeux]. C’est tellement un combat frustrant. Il y a tellement peu d’occasions de victoires et de célébrations. C’est tout le temps noir et tout d’un coup il y a une petite lueur. C’est une émotion indescriptible. Une victoire comme ça, tu n’as même pas envie de célébrer. Tu as envie d’introspection, d’un moment de sérénité pour immortaliser ça. Je suis allé m’asseoir dehors, j’ai regardé les oiseaux.
Quelle a été la réaction de vos collègues?Quand je parle de ça à mes amis oncologues, ils sont encore plus excités que moi parce qu’eux, ils voient leurs patients mourir chaque semaine. Il y en a qui opèrent du monde dans des conditions cliniques horribles. Je soupais avec un ami neurochirurgien et quand je lui ai annoncé, il s’est mis spontanément à pleurer. La première fois que j’ai présenté ça dans des congrès internationaux, je n’avais même pas fini que les gens se levaient pour applaudir. On ne voit jamais ça, des résultats comme ça. Tout le monde se réjouit. Il n’y a plus de compétition, rendu là.
S’il est commercialisé un jour, quel impact pourrait avoir ce médicament?On parle d’un médicament qui a le potentiel de traiter des centaines de milliers de personnes. Chaque année en Amérique du Nord, il y a 180 000 patients qui développent des métastases cérébrales. On ne parle pas d’un cancer rare. Aussi, la molécule qu’on a créée pourrait ensuite être conjuguée à d’autres médicaments [qu’on veut envoyer dans le cerveau], et pas seulement contre le cancer. Ça pourrait par exemple être le cas pour des médicaments contre l’Alzheimer ou l’épilepsie.
Quelles sont les issues possibles pour le médicament à la fin de la phase 3?C’est une fois cette phase réussie qu’il sera possible d’obtenir l’approbation pour la mise en marché [...]. Honnêtement, on ne voit pas quelle surprise il pourrait y avoir pendant la phase 3. La seule chose qui pourrait arriver, c’est que la réponse soit moins bonne que ce qu’on a eu en phases 1 et 2. Mais bon, on a déjà 300 patients de traités... À la lueur des résultats précédents, c’est presque comme si on se demandait si les résultats vont être spectaculaires ou très spectaculaires. Ce que je voudrais, c’est que le médicament soit disponible le plus rapidement possible pour traiter le plus grand nombre de cancers possible.
La plupart des gens vous connaissent pour vos livres sur la prévention du cancer. Pourquoi avoir consacré votre vie à combattre le cancer?Ce qui nous tue aujourd’hui, c’est le cancer. C’est la première cause de mortalité. C’est notre ennemi personnel. On se lève le matin, on déteste le cancer. On se couche le soir et on déteste le cancer. Parce que ce n’est pas un ennemi ordinaire. C’est une portion de toi qui t’attaque, une révolte du corps contre lui-même. C’est une négation de l’évolution, une monstruosité. Une aberration. Il y a quelque chose de révoltant, dans le cancer. Et de voir que l’intelligence et le savoir peuvent arriver à avoir le dessus, c’est quelque chose.
♦ Le médicament ANG1005 n’est pas encore disponible sur le marché canadien. Seuls les sujets sélectionnés pour les essais cliniques aux États-Unis pourront recevoir le traitement.♦ Il n’a pas été possible de consulter les résultats de la phase 2 étant donné que la FDA ne diffuse aucune information sur les produits qui sont encore en essai clinique. Les différentes phases d’un essai clinique
Phases précliniquesLe médicament est conçu en laboratoire, puis testé sur des animaux ou sur des cellules humaines.
Phase 1But: Évaluer la toxicité
Le médicament est testé sur un petit nombre de patients. Il s’agit généralement de patients en phase terminale pour qui les autres traitements n’ont pas fonctionné, explique le Dr Béliveau.
Phase 2But: Évaluer l’efficacité et les effets secondaires
Le médicament est testé sur un plus grand nombre de patients. Il s’agit de patients qui sont moins avancés dans la maladie que ceux de la phase 1, indique le Dr Béliveau.
Phase 3But: Comparer l’efficacité au meilleur traitement déjà existant
Le médicament est testé sur un grand nombre de patients, dont certains peuvent même n’avoir jamais reçu de traitement auparavant.
ApprobationLe médicament peut être soumis pour approbation aux autorités (FDA ou Santé Canada). Les médecins peuvent ensuite le recommander à leurs patients.
Phase 4Même après avoir été approuvé par la FDA, des informations peuvent encore être accumulées afin de perfectionner le médicament et ses indications. Elle peut aussi servir à étudier les effets à long terme du traitement.
Sources : Société canadienne du cancer, American Cancer Society Le médicament ANG1005
UNE COMBINAISON ENTRE:Le paclitaxel: un médicament de chimiothérapie déjà existant
L’angiopep: le peptide conçu par l’équipe du Dr Béliveau. Ce peptide style «Cheval de Troie» permet à la molécule de chimiothérapie de traverser la barrière sang-cerveau. Dans le futur, il pourrait être combiné à d’autres molécules que le paclitaxel afin de traiter d’autres types de cancer, et même d’autres maladies, comme l’Alzheimer.
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Ajout :
« Les résultats sont tellement extraordinaires que la FDA [Food and Drug Administration], avec enthousiasme, nous a donnés l'approbation pour [entreprendre] la phase finale. » Le docteur en biochimie Richard Béliveau annonce que, grâce au feu vert obtenu de la Food and Drug Administration, une nouvelle étape est franchie vers la commercialisation de son médicament visant à traiter les tumeurs au cerveau de femmes atteintes d'un cancer du sein.
Le directeur du laboratoire de médecine moléculaire de l'Université du Québec à Montréal (UQAM) explique qu'il est difficile de traiter les métastases au cerveau, parce que l'organe est protégé de la circulation sanguine par une barrière d'étanchéité. Son équipe est parvenue à trouver des clés pour déjouer cette barrière et transporter des médicaments dans le compartiment cérébral.
La survie moyenne des patientes ayant été traitées dans la deuxième phase d'étude du médicament est passée de trois à huit mois, des résultats qui sont « au-delà des espérances ». Les découvertes de Richard Béliveau pourraient avoir une incidence sur le traitement d'autres maladies cérébrales, comme l'alzheimer, l'épilepsie ou le parkinson, selon lui.
Entrevue à la radio lien sur ce site :
http://ici.radio-canada.ca/emissions/medium_large/2015-2016/chronique.asp?idChronique=411801