Anne Hébert eut beaucoup de difficulté à imposer sa poésie. Son premier recueil fut publié grâce à Roger Lemelin. Elle aussi s'exilera en France à la première occasion et se fera chantre de la solitude. Les deux poèmes qui suivent sont extraits du Tombeau des rois (1953).
Il y a certainement quelqu'un
Qui m'a tuée
Puis s'en est allé
Sur la pointe des pieds
Sans rompre sa danse parfaite
A oublié de me coucher
M'a laissée debout
Toute liée
Sur le chemin
Le coeur dans son coffret ancien
Les prunelles pareilles
À leur plus pure image d'eau
A oublié d'effacer la beauté du monde
Autour de moi
A oublié de fermer mes yeux avides
Et permis leur passion perdue
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UNE PETITE MORTE
Une petite morte s'est couchée en travers de la porte.
Nous l'avons trouvée au matin, abattue sur notre seuil
Comme un arbre de fougère plein de gel.
Nous n'osons plus sortir depuis qu'elle est là
C'est une enfant blanche dans ses jupes mousseuses
D'où rayonne une étrange nuit laiteuse.
Nous nous efforçons de vivre à l'intérieur
Sans faire de bruit
Balayer la chambre
Et ranger l'ennui
Laisser les gestes se balancer tout seuls
Au bout d'un fil invisible
À même nos veines ouvertes.
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