Faut-il ou non proposer, à tous les hommes âgés de 50 à 75 ans, le dosage régulier de la PSA, une molécule connue pour être un marqueur biologique du cancer de la prostate ? Depuis plusieurs années, l'Association française d'urologie (AFU) recommande un tel dépistage, effectué sur prescription médicale. On estime que 2,7 millions de ces analyses sont pratiquées chaque année en France et prises en charge, pour un montant de plus de 60 millions d'euros, par la Sécurité sociale.
La systématisation de cette approche est-elle médicalement et économiquement justifiée ? Deux spécialistes, l'un de santé publique, l'autre d'épidémiologie, en doutent fort. Le professeur Gérard Dubois (CHU d'Amiens) vient ainsi de publier, dans le Canadian Journal of Public Health, un article dans lequel il dénonce l'absence, en France, de toute forme d'évaluation médicale et économique de ce dépistage.
SURDIAGNOSTIC
Il partage de ce point de vue les conclusions exprimées par Catherine Hill (Institut Gustave-Roussy) dans le dernier numéro de la revue La Presse médicale. "L'inconvénient majeur du dépistage du cancer de la prostate est le surdiagnostic, c'est-à-dire le dépistage de cancers qui ne seraient jamais devenus symptomatiques et dont les traitements entraînent souvent impuissance ou incontinence urinaire, explique Mme Hill. Il faut oser dire que la situation française actuelle est à l'origine d'une véritable épidémie de pseudo-cancers prostatiques aux conséquences désastreuses. En l'état actuel des connaissances il n'est pas licite de suivre les recommandations de l'AFU." Pour cette spécialiste d'épidémiologie il faudrait, en toute rigueur, attendre les analyses de la mortalité dans les deux essais de dépistage réalisés en Europe et aux Etats-Unis, analyses qui devraient commencer à partir de 2008.
"Nous sommes une nouvelle fois victimes de certains ayatollahs de la santé publique, estime le professeur Guy Vallancien, spécialiste d'urologie (Institut mutualiste Montsouris). Il faut savoir que la polémique sur le diagnostic précoce du cancer de la prostate n'est pas sans arrière-pensées économiques. Les médecins de santé publique ne s'intéressent qu'au coût global du dépistage par le PSA sans s'interroger sur les causes. Or sur 10 ans on peut évaluer à 5 millions le nombre de dosages de la PSA prescrits non pas pour un diagnostic, mais pour le suivi d'hommes traités par chirurgie, radiothérapie, ultrasons ou hormono ou chimiothérapie. Nous sommes également la cible des cancérologues furieux de voir que les urologues sont en première ligne pour traiter les cancers de la prostate."
Pour le professeur Vallancien, l'essentiel est ailleurs. "La réalité quotidienne est que nous voyons de moins en moins, pour ne pas dire presque plus, de malades souffrant d'emblée de métastases de leur cancer prostatique, souligne-t-il. Ce sont chez des hommes de la cinquantaine en pleine forme que, grâce au dosage PSA, on découvre l'existence d'un cancer de petit volume pouvant être aisément traité sans complications majeures. Ce sont les malades qui ont raison. Eux comprennent parfaitement le bénéfice d'une détection précoce. Ils le disent et s'indignent le cas échéant de voir que leur médecin ne leur a pas proposé un test biologique plus tôt."