Après avoir posté quelques messages dans une autre rubrique, je poste là mon témoignage sur nos "débuts" dans cette foutue maladie. Non, je ne suis pas schizophrène quand je dis "nous», mon "nous" veut dire mon mari et moi parce qu'au quotidien, nous nous battons tous les 2, ensemble.
Philippe est atteint d'un mélanome métastasique nodulaire, rien que le nom fait peur, depuis, à mon sens, près de 3 ans mais le diagnostic est tombé en septembre dernier. Comment est-ce" possible? Parce que Philippe est médecin, cardiologue pour être plus précise, et qu'il se croyait immortel, fort, persuadé qu'il mourrait tard, plus tard, d'un problème cardio-vasculaire....Ben voyons!!!!
Nous nous connaissons depuis 32 ans, mariés depuis bientôt 28 ans. Depuis tout ce temps, je n'ai jamais vu Philippe manquer un seul jour d’hôpital, qu'il soit interne, chef de clinique ou chef du service de cardiologie en soins intensifs. Il n'a jamais été malade, ou si peu qu'il n'arrêtait pas de travailler. Il est aimé, c'est un médecin hors pair et un humain de très grande valeur. Nous le constatons tous les jours avec tous les messages d'amitié qui nous arrivent de la part d'amis mais aussi de vagues connaissances.
Il y a environ 3 ans, je remarque à l'arrière du genou gauche de mon mari un grain de beauté qui évolue et devient pédiculaire. Evidemment, buté comme il est, il ne voulait pas aller chez un dermato. Je l'ai harcelé sans succès (et après tout, c’est lui le médecin, si c’était inquiétant, il se serait inquiété) et un jour, revenant de son entraînement de hand ball, il m'annonce que je pouvais être rassurée, avec sa genouillère, le grain de beauté s’est arraché. Bon, très bien, voilà donc un souci évacué manu militari de son genou mais aussi de ma tête.
Il y a environ 1 an et demi, un « truc » bizarre s’est mis à pousser à quelques centimètres de l’endroit où était le grain de beauté.
Bof, un lipome, en a-t-il conclu (je vous rassure, il est meilleur cardiologue que dermato ;-)) et hop, problème encore évacué de ma tête….sauf que…
Il y a 1 an, un 2e lipome est apparu et a grossi très vite. Bof, a-t-il dit, cela ressemble à des varices…..moi je ne trouvais pas ça joli mais lui ne s’en inquiétait pas…. Après tout, c’est lui le médecin….
En fin d’été dernier, les varices ont encore grossi et sont devenues inflammatoires….bizarre…là, le médecin qu’il est s’est un peu inquiété. Bon, l’épouse neuneu du –dit médecin suggère de passer un Doppler veineux (donc pas complètement neuneu l’épouse) et ça tombe bien, ayant quitté par ras le bol son service hospitalier pour s’installer en libéral avec 3 copains, il a pu demander à l’un d’entre eux, spécialisé dans le doppler, de lui en faire un. Quelle surprise, ce n’était pas des varices !!!!
Bon, j’arrête de rigoler, je l’eng…. Et hop, direction une amie dermato. Biopsie et 4 jours plus tard, il rentre dans l’après midi à la maison, interrompt ma séance avec un enfant (je suis graphothérapeute depuis 2 ans) et me dit, ce n’est pas bon du tout. Je suppose que vous avez tous ressenti ça : l’impression que tous mes intestins se congelaient immédiatement. Mon système nerveux ne fonctionnait plus. Mélanome….nous savions ce que cela voulait dire.
Avant de rentrer, il avait pris un rendez vous pour passer un scanner dans la journée, je l’ai accompagné. Ouf ! rien de rien dans les organes.
Les choses se sont enchaînées, vite, vite, en 3 jours nous avons vu le chef du service de pointe en cancéro dermato, le chirurgien, chef du service de chirurgie reconstructrice, qui a demandé une IRM et quand même, il a voulu un PET Scan, pour vérifier les ganglions. C’est allé encore très très vite et là…..la panade…..les 2 nodules de la jambe crachaient bien au scanner, pas de ganglions mais ….un truc à l’omoplate droite, sous l’omoplate. Rien qu’à voir la tête du prof du service venant nous donner le résultat, on s’est dit que c’était foutu.
Nous avons du attendre 2 jours que le dermato cancéro rentre d’un congrès pour que l’équipe du réseau dermato cancéro décide de la suite : opération ou radio thérapie ou chimio ? Ben tiens, au cas où on s'ennuie, allez, on se fait les 3...
Ils ont donc finalement opté pour double exérèse, 3 semaines après greffe de peau (5 semaines sans bouger sauf pour aller aux toilettes ou au lit, il a failli devenir fou et moi j’ai failli l’assassiner plus vite que le mélanome) puis radiothérapie sur la jambe à l’endroit des 1ères lésions. Et on refait un scanner…. Et là….toujours rien aux organes profonds mais voilà, Philippe s’était palpé sans chercher, juste en prenant sa douche et a découvert d’autres nodules, dans le dos, sous une aisselle, dans le cou, sur la joue….plein qui poussaient partout alors on a examiné de plus près les précédents scanners et celui-ci et on a pu voir les autres nodules et qq nouveaux.
Le dermato cancéro s’est alors tourné vers nous en disant (je m’en souviens à la virgule près) : « bon, là, ça change la donne ! »
Une chimio a été mise en route parallèlement à la radiothérapie. A la fin de la chimio, nouveau scanner et….toujours rien au foie, cerveau, organes profonds et ganglions, mais encore des nouveaux en épidermique, et des anciens qui grossissaient…. Bilan négatif donc.
3 protocoles ont été proposés mais il n’avait pas les marqueurs récepteurs pour les 2 premiers et le 3e venait juste d’être fermé car ils avaient le nombre de patients requis pour leur étude. Sans trop de regret car cette étude était en phase 1, donc ils en sont à la recherche de toxicité.
Nouvelle donne : que fait-on ?
A ce stade là, ce qui est proposé aux patients, c’est une autre chimio plus invasive avec perte des cheveux, fatigue++++ et forcément arrêt de travail. C’est toujours inconcevable pour mon mari, il s’oppose à ce traitement. Le dermato cancéro nous a alors proposé l’Ipilimumab, que moi j’avais déjà repéré en faisant des recherches et voilà, nous en sommes là. La 3e cure a eu lieu mardi dernier, la prochaine dans un peu plus de 2 semaines. Je vous passe notre état psychique.
Moi, j’ai du mal à vivre, j’y pense sans arrêt, on marie notre fille cet été, nos enfants ont entre 16 et 24 ans, nous avons une adorable petite fille Léna de 4 ans. Nous allions pouvoir souffler un peu (nos 4 enfants ont été un peu « compliqués » à gérer au niveau scolaire car tous les 4 font partie d’une catégorie d’enfants ayant de gros soucis : les enfants précoces ; Et le dernier souffre en plus d’un handicap la dyspraxie qui me prend une énergie folle), Philippe installé en libéral n’a plus de gardes ni d’astreintes, ses week end sont des vrais week end, je m’éclate dans mon nouveau métier qui me passionne, je continue des études pour approfondir, nous pouvons enfin penser un peu à nous 2…. Et non….. un 3e larron s’est imposé et il prend toute la place.
Je me sens comme en mutation, je ne suis plus la même du tout, j’ai peur en permanence. Mardi, il a fait un malaise quand la perf a commencé et du coup, j’ai peur ; Il y a des cas de morts subites avec ce traitement. Il a des effets secondaires (diarrhées) qui l’épuisent. Je reste éveillée au maximum la nuit, je le surveille, j’écoute avec soulagement ses ronflements (dont je me plaignais pourtant depuis 30 ans) , je suis chrétienne et je ne sais même plus où en est ma Foi. Je me tourne moi vers des thérapies un peu différentes comme la médecine chinoise que je voudrais qu’il essaie (en parallèle bien sur, pas en remplacement).
Tout est bon à essayer et la biologiste de formation initiale que je suis, archi cartésienne, perd ses certitudes de scientifique . Même les médecins, cancéro, radio, chir, ne semblent pas savoir où on va. Ils le disent, ils n’ont jamais vu cette forme de mélanome qui flambe vite, très vite mais reste pour le moment en surface, sans envahissement des ganglions et autres organes. C’est à la fois angoissant (ils n’ont pas l’air de savoir) et rassurant (c’est peut-être une forme qui restera épidermique et donc il pourra vivre avec). J’évite maintenant de faire des recherches , je ne veux pas savoir qu’elles sont les stats, ça changera rien.
Une amie très proche, son ancienne assistante, 35 ans, 3 petits de 3 à 8 ans, a été diagnostiquée en même temps que lui mais elle d’un cancer au pancréas. Elle est décédée rapidement au bout de 4 mois.
La 2e femme du père du fiancé de ma fille (c’est bon, vous suivez ? ;-)), diagnostic cet été d’un cancer de l’utérus métastasé dans les os, elle est décédée avant Noël.
L’épouse du frère de Philippe, mon âge, dépistage de routine pour le cancer du côlon à 50 ans, et voilà, cancer colo rectal, ganglion sentinelle. Radio thérapie puis opération puis en chimio….on se tient, on se soutient.
Et autour de nous, le cancer prend ses aises et attrape tout ce qui bouge, un ancien instit de mes enfants (poumon), un assistant maternel de la classe de ma petite fille (poumon… il n’a jamais fumé) , une amie (sein + péritoine, décédée), une sœur de mon beau père : cerveau, décédée. Et j’arrête là mais ça continue….
A l’âge où les petites filles ont leur première poupée, moi j’ai eu mon 1er microscope et du plus loin que je me souvienne, quand on me demandait ce que je voulais faire plus tard, je répondais « trouver le vaccin contre le cancer ». J’aurai dû aller au bout de mon rêve d’enfant…j’en fais une affaire personnelle…..
Voilà 6 mois que nous vivons avec cela, nous avons bien compris que nous ne pouvons plus à vivre sans. Mais il y a qq mois, je pensais que mon mari ne serait plus là pour le mariage de sa fille….là je commence à espérer… un peu.
Bon, 1ère leçon pour vous tous : ne jamais me dire d’écrire quoique ce soit, je ne sais pas faire court ;-))) et bravo à ceux qui auront lu jusqu’ici.
Brigitte